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Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/68

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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

chez Mme de Tessé, qui me reçoit cordialement, tout en se plaignant de mes vues en politique. Lord et lady Camelford arrivent avec leur fille. M. Jefferson dit qu’ils s’étaient invités à dîner, sous prétexte qu’ils connaissaient un ami de Mme de Tessé, sans la connaître elle-même.

À la séance royale d’aujourd’hui, le roi a plu à la noblesse, mais il a grandement indisposé le tiers état. J’éprouve une grande difficulté à savoir exactement ce qui s’est passé, mais il me semble que la noblesse n’a pas le droit de se réjouir autant qu’elle se l’imagine. Au dîner, je suis assis à côté de M. de La Fayette, qui me dit que je fais tort à la cause, mes sentiments étant continuellement invoqués contre le bon parti. Je saisis cette occasion de lui dire que je suis opposé à la démocratie par amour de la liberté, que je vois les nobles courir aveuglément à leur perte, et que je voudrais bien les arrêter, si cela est encore possible ; que leurs projets en ce qui regarde le peuple français sont absolument incompatibles avec les éléments dont il est composé, et que le plus fâcheux pour eux serait la réalisation de leurs désirs. Il me répond qu’il se rend bien compte de la folie de ses partisans, et qu’il la leur reproche, mais qu’il n’en est pas moins déterminé à les suivre jusqu’à la mort. Je pense qu’il ferait tout aussi bien de leur rendre leur bon sens et de vivre avec eux. Il se dit décidé à démissionner, et je l’approuve, les instructions qui le lient étant contraires à sa conscience. Avant de nous séparer, je prends l’occasion de lui dire que si le tiers état fait maintenant preuve de modération, il pourra réussir, mais son échec est certain s’il a recours à la violence. Je quitte Mme de Tessé pour aller chez Mme de Montboissier ; la société est aristocratique et enchantée du roi. Au cours de la conversation, des anecdotes sont racontées qui me prouvent que le roi et la reine ressentent une frayeur mortelle, et j’en tire la conclusion que la Cour va encore reculer. Hier M. Necker a offert sa démission que le roi a refusé