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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

que je suis sur le point de m’entendre avec la ferme, car un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. Il partage mon avis, et me félicite que mon voyage ne soit pas tout à fait inutile. Il ajoute qu’il ne reste que quelques jours à Paris à cause de ses affaires. Au moment de le quitter, il me prend à part pour m’informer que M. Necker n’est plus en place. Cette nouvelle le trouble beaucoup et moi aussi, à dire vrai. Je l’engage à se rendre immédiatement à Versailles. Il me dit qu’il n’ira pas, que toutes les mesures ont sans doute été déjà prises, et que, par suite, il est trop tard. Je lui dis qu’il n’est pas trop tard pour avertir le roi du danger dans lequel il se trouve, danger infiniment plus grand qu’il ne le croit ; que son armée ne se battra pas contre la nation, et que, s’il écoute les conseils violents, la nation sera sans aucun doute contre lui ; que l’épée lui a échappé des mains sans qu’il s’en aperçût, et que l’Assemblée nationale est maîtresse de la nation. Il ne répond pas explicitement, mais il est profondément ému.

Pour tenir ma promesse, je vais chez Mme de Flahaut ; j’apprends que le ministère tout entier est renvoyé et que Necker est banni. On est très alarmé ici. Paris commence à s’agiter ; quelques nobles ont enlevé un tambour à la garde invalide du Louvre et battent le rappel. M. de Narbonne, l’ami de Mme de Staël, considère une guerre civile comme inévitable et va rejoindre son régiment, hésitant, dit-il, entre la voix du devoir et la conscience. Je lui dis que je ne connais d’autre devoir que celui que dicte la conscience. Je suppose que sa conscience lui conseillera de s’unir au parti du plus fort. Le petit abbé Bertrand, qui vient de sortir en fiacre, revient tout effrayé par une grande foule dans la rue Saint-Honoré, et bientôt après arrive un autre abbé, qui fait partie du Parlement, et qui se réjouit des changements survenus, mais il est épouvanté à l’extrême par les désordres. Je calme les craintes de Mme de Flahaut dont le mari a perdu la tête, et qui figure, paraît-