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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/119

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fort belle, était meublée d’une planchette de bois retenue au mur, d’un fauteuil et d’une canne, rien de plus. Je l’arpentais du matin au soir, avec une légère exaltation qui m’est naturelle et dont j’ai besoin. Le plus souvent je travaillais devant ma glace ; je cherchais jusqu’aux gestes de mes personnages et j’attendais que le mot juste, la phrase exacte me vinssent sur les lèvres. Tout ce que je veux, en écrivant, c’est me satisfaire moi-même ; je ne connais plus rien, ni personne, je ne sais seulement pas s’il y a un public. » Eh bien, c’est aussi cet oubli du public et ce travail devant la glace qui ont stérilisé ses œuvres.

Becque, amer et tourmenté, ne sait pas et ne veut pas dire ce qu’il est. On retrouve cette angoisse dans plusieurs de ses lettres et notamment dans l’une d’elles qu’il écrivit à Rodenbach : « Je suis un poète manqué… j’aimerais mieux être soldat que littérateur… je me suis fait un petit nom à un âge où un homme n’a plus d’autre joujou. »

Becque souffre d’une maladie indéfinissable, mais uniquement spirituelle. Il y a, dans son art, trop de science et ce terrible souci de vérité, ce goût du réalisme photographique qui rapetisse les œuvres.

L’explication de tout ceci est dans la phrase de Péguy : « Becque n’a pas eu la grâce. » Il n’y a pas de grâce dans ses œuvres, ni dans ses personnages.

La grâce : « Ce qui ne s’acquiert ni ne se perd à aucun prix », dit quelque part André Suarès, « ce grand sourire intérieur, cet enchantement, cette magie,