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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/120

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ce je ne sais quoi qui plaît à l’âme en passant par les sens, ce charme qui vient de la nature et ne peut être emprunté, ce rayon de soleil, cette part de Dieu, cette prédestination des élus, cette divine visitation. » « Et la grâce, dit La Fontaine, plus belle encore que la beauté. »

Ce don merveilleux qui fait que l’on dit le doux ou le tendre Racine, le grand Corneille ou l’enchanteur Shakespeare, Becque ne l’a pas eu. On dit Becque tout court.

Becque, en dépit de sa lettre à Rodenbach, se croyait poète ; mais on découvre chez lui une tragique impuissance à se délivrer poétiquement.

Becque n’a jamais pu se délivrer et c’est peut-être dans cette impuissance qu’il faut chercher la cause de ce que Pierre Brisson appelait certain jour, fort justement : « son fanatisme de l’amertume ».

J’irai plus loin dans cette théorie de la disgrâce, dans cette métaphysique de la malchance : Becque n’a jamais eu de chance parce qu’il a négligé la loi essentielle de la chance qui veut qu’on lui fasse confiance, qu’on lui sourie et qu’on l’espère.

Becque n’a jamais su sourire ; il s’est entêté dans une disgrâce volontaire ; il a boudé la chance, habillé en porc-épic ; il s’est, tout le long de sa vie, hérissé et retroussé.

Il y a dans le gracieux Intermezzo de Jean Giraudoux une explication de l’ordre de l’univers dont la