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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/131

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Nous rejoignons l’austérité et la simplicité qui caractérisent le théâtre classique.

Pas de mise en scène : le spectacle n’existe pas : point besoin d’accessoires ou de décors alléchants : avec un secrétaire, une clef, une lettre et une tasse de café, on peut jouer la pièce, comme l’École des Femmes avec une bourse et des jetons, et le Misanthrope avec six chaises et un billet. La mise en scène, cette espèce de séduction dont on saupoudre la pièce pour allécher le public, est ici inutile.

Becque a su retrouver les formes pures de la technique ; il a dépouillé l’art dramatique d’éléments secondaires, pour ne garder que les éléments psychologiques, et il atteint à la rigueur de l’époque classique.

En se dépouillant du pathétique, il arrive quand même à une certaine grandeur. Ce miracle est dû à un travail obstiné et à une grande honnêteté dramatique.

Ô paradoxe ! Ce qui l’a servi, ce qui lui permet d’être un classique mineur, ce sont justement ses défauts — ses qualités négatives, si j’ose dire, poussées à un très haut degré. C’est ce qu’il y a de sec, de pauvre et de triste dans son talent qui donne à son œuvre sa valeur. Ses personnages, espèces de commis aux écritures, peuvent se livrer à une escrime psychologique qui apparente Becque à Molière, à Beaumarchais et à Marivaux. Son système dramatique peut être comparé à celui de Molière ; et la première scène ex abrupto, de la Parisienne, cette « attaque en falaise », comme disait encore Péguy, est de la même veine et du même