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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/151

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à sa place, au second ou au troisième rang — c’est un talent, non un génie. »

Si j’en avais le loisir, j’aurais aimé illustrer de citations hugoliennes le jugement définitif, à mon sens, qu’a porté Pierre Brisson sur son théâtre, à propos de la reprise des Burgraves.

« Un décor verbal d’une richesse extraordinaire et même grandiose par moments et des personnages plus creux que des trompettes. On pourrait demeurer songeur si le problème Hugo dramaturge n’était, depuis longtemps, résolu. Nous savons que le théâtre reste la partie de beaucoup la plus faible et la plus périssable de son œuvre, pour la raison toute simple qu’une pièce n’a de chance de durer que soutenue par un sentiment profond. Cette chaleur intime du sentiment, Hugo ne l’a jamais insufflée à ses personnages. Aucune note de souffrance vraie, aucune palpitation secrète, aucun prolongement : un art purement oratoire. Molière, dans vingt-cinq vers d’Alceste, a mis plus d’émotion humaine que Hugo dans son répertoire entier. Le don miraculeux de magnifier les choses le trompait sur sa vie intérieure et, à plus forte raison, sur celle de ses héros. Les décors que son imagination lui fournissait sans relâche masquaient à ses yeux la réalité des êtres. Par l’ampleur et la solennité du ton, par ses mises en scène d’apocalypse, il se faisait illusion sur l’importance de ses projets. La forme de son esprit ne lui permettait d’y accueillir que des notions puissamment élémentaires. Il allait d’instinct, et tout droit, à l’antithèse, c’est-à-