Aller au contenu

Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien connue : le directeur de théâtre est un homme qui a un bail.

Le directeur passe-partout est innombrable, il prolifère comme le champignon nuisible. Inoffensif en apparence, il exerce dans le milieu dramatique une action décomposante et pernicieuse d’autant plus dangereuse qu’elle est presque indécelable dans l’état actuel des règlements sociaux et des statuts inexistants de notre corporation.

C’est l’homme des disponibilités indéfinies. Coiffé du chapeau chinois de l’opérette, ceinturé de la grosse caisse de la publicité, il sait aussi bien souffler dans le piston du vaudeville que faire trémousser l’accordéon du mélodrame, actionner les cymbales de la tragédie ou le triangle de la comédie. C’est l’homme-orchestre du théâtre.

Si la naissance lui a donné un patronyme banal et chrétien, il prend généralement un pseudonyme qui laisse supposer des origines sémites ; si, par hasard, il n’est pas Aryen, il s’empresse de choisir un pseudonyme à consonance noble ou artiste.

Le désir secret de son âme est de pouvoir créer, un jour, une émeute, une insurrection ou même une barricade dans l’intérieur de son théâtre.

Pour lui, diriger un théâtre consiste à s’y rendre invisible comme Jéhovah et, au besoin, à s’y escamoter soi-même. Visitant le nouveau local qu’il veut louer, il s’extasie sur le nombre de portes dérobées, les couloirs à double issue, les escaliers furtifs ou secrets, et, con-