Aller au contenu

Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

complexe, redoutable et délicieuse que sera la représentation. Détourner les esprits, incliner les cœurs, mettre en état l’humain et le sensible jusque dans l’inanimé : révéler l’inexprimé et même l’inexprimable, constamment provoquer et attendre, tâtonner avec science, concilier et réconcilier, opposer, créer la ferveur dans l’irritation, échauffer l’indifférence, affaiblir la force, conjuguer l’inégal, harceler, encourager, subir, apprivoiser, susciter, aplanir — il n’est pas un métier ou une technique dont on ne puisse employer les termes pour exprimer un aspect de cette activité.

Mettre en scène, c’est gérer les biens spirituels de l’auteur, en tenant compte des nécessités temporelles du théâtre.

C’est se placer du point de vue d’un soir et du point de vue de l’éternité.

C’est étudier comme une formule magique le texte d’une pièce, et pratiquer de concert avec son auteur la nécromancie. C’est le contraire de la critique : ballottés d’un côté par des lois, des règles, et de l’autre par leur plaisir, ces messieurs de la critique vivent dans le théâtre en essayant d’une main de mesurer ce plaisir à une vieille toise et en visant la pièce de l’autre main, avec une vieille jumelle marine. Mettre en scène, c’est exactement le contraire : c’est chercher constamment des raisons d’admirer et d’aimer.

C’est vivre selon les règles du poète.

C’est une manière de se comporter avec les dieux de la scène, avec le mystère du théâtre.