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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/30

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à ce moment où le régisseur, le pompier de service, les machinistes et les comédiens viennent admirer, avec un sourire de béatitude, par le trou ou la fente du rideau, ces centaines de visages, irradiés d’impatience et d’intérêt. Vous ne savez pas le frémissement voluptueux que donne l’entonnoir d’une salle de théâtre toute enduite d’humanité, cette amplification de sensibilité, cet émoi dont on ne sait plus s’il est fait de tendresse ou d’horreur — lorsque le rideau se lève enfin dans le silence… et qu’apparaît soudain cette masse humaine, « ce monstre, disait Shakespeare, qui a des milliers d’yeux et d’oreilles et qui nous attend, dans l’ombre ».

À ce moment où se polarise sur le comédien qui est en scène ce brusque afflux de sentiments humains, aiguisés jusqu’à l’extrême, accessibles à toutes les nuances, débordants de confiance et de beauté intérieure ; à ce moment-là votre plaisir nous est plus sensible, peut-être, qu’à vous-même.

Si tant est qu’il soit nécessaire de chercher un problème au théâtre, c’est dans l’occultisme redoutable où il s’exerce tous les soirs qu’il faut le considérer ; dans sa magie agissante sur le public et sur l’acteur, dont les moins initiés d’entre nous connaissent les phénomènes ; dans cette incantation, cette sorcellerie que provoque la représentation et dont la pratique naturelle et familière est, cependant, un mystère plus grave que celui du cinéma ou de la T. S. F.

Il n’est pas nécessaire d’avoir vécu longtemps au delà de la rampe, dans cette cellule de l’ancien temple