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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/40

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reux. Si la langue de Racine est toujours parlée en France, dans deux cents ans on jouera encore le théâtre de Jean Giraudoux. C’est à son succès qu’il faut songer pour comprendre la définition du mystère dramatique. Eschyle, Sophocle, Euripide, Shakespeare, Racine, Schiller, Gœthe, plus ou moins grands, sont des poètes dramatiques ; Giraudoux en est un, parmi eux, et je pense que vous ne vous étonnerez pas de cette opinion : c’est nous qui l’avons joué.

N’aurais-je d’autre titre de gloire, dans l’exercice de mon métier et de ma carrière, que d’avoir joué ses œuvres, celui-là me suffirait.

Tout ceci n’est probablement pas inexplicable, un esprit plus savant que le mien rangerait aisément ces exemples dans des casiers bien étiquetés à l’usage de ceux qui veulent tout comprendre et ont décidé de ne pas laisser son charme à la vie. Le marin sur son bateau, le soldat dans la tranchée, le joueur devant le tapis vert, le cultivateur ou le vigneron devant leur récolte, ont eux aussi une âme singulière ; les phénomènes de prémonition, de détection et de télépathie leur sont habituels, comme à nous, gens de théâtre, parce que ce sont des métiers où le risque souffle et où l’esprit vibre dans cette bienfaisante inquiétude, où la sensibilité, à la fois vacillante et exaspérée, donne à la vie son sens et son prix.

Tout ce qui vit véritablement, tout ce qui concerne les opérations où sont mêlés le cœur et l’esprit de l’homme, est empreint d’un mystère qui en est à la fois