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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/42

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Mais revenons à ce problème du théâtre, revenons au succès : je voudrais pouvoir décrire le succès au théâtre ; ce paroxysme de la représentation, cette effusion d’où naît le tumulte de l’applaudissement, ce moment dramatique où une même âme saisit et cristallise tout d’un coup la salle entière, par une magnifique et miraculeuse contagion — cette unanimité qui fait communier les êtres les moins choisis et les plus réfractaires à ce mélange — dans une même idée, ou un même sentiment, avec une reconnaissance dont la chaleur nous exalte et nous comble.

Lorsqu’on dit au théâtre « la salle entière », c’est comme dans l’histoire quand on dit « le peuple entier ». Que ce soit au couronnement des rois de France, aux fêtes révolutionnaires du Champ-de-Mars, à la traversée de l’Atlantique par les airs, à la mobilisation de 1914 ou à l’armistice de 1918, le phénomène est le même, la qualité et la nature de cette effervescence et de cet enthousiasme sont rigoureusement semblables.

Le succès au théâtre, c’est aussi un mot de Jules Renard qui va nous en apporter une nouvelle et nécessaire définition… et donner un autre ton que celui du pathétique. Ce mot de Jules Renard concerne la préposée à la location, cette dame sans jambes de 11 heures du matin à 8 heures du soir qui, assise derrière un guichet, loue à l’avance les places pour le spectacle ! Si, parlant de cette dame, on répond au directeur qui s’informe comment marche la location pour la soirée : « Monsieur, c’est bien simple, aujourd’hui la buraliste