Aller au contenu

Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’a pas eu le temps de faire pipi », on a la définition du succès.

Voilà ce qu’est le succès, sous ses deux aspects bien différents, bien opposés et très humains tous les deux, mais rigoureusement indispensables tous les deux à la profession théâtrale.

Le commerce théâtral, malgré son caractère utilitaire, est, à l’origine des temps, un sacerdoce qui prend sa source aux mobiles les plus nobles et les moins intéressés du cœur humain, mais il y a au flanc de tout sacerdoce, si glorieux soit-il, une abominable plaie qui oblige le prêtre à vivre de l’autel, le soldat de son épée et l’avocat, comme le médecin, de leurs clients.

Je ne crois pas qu’il soit bien à propos, à notre époque, d’insister sur ce sacré besoin d’argent que Jules Renard arrose de son ironie — vous avez tous les oreilles rebattues de nos difficultés financières… sans compter les vôtres.

Disons-le cependant, le théâtre est un petit commerce au jour le jour, ou à la petite semaine. Une pièce qui ne fait pas recette ne peut pas rester à l’affiche. Ici le génie n’a pas de crédit. Le génie n’a pas de crédit comme dans les autres arts, où le peintre, le graveur, le musicien, le romancier, ont tout de même le droit d’accumuler, dans la patience et la misère, les fruits de leurs travaux et de leurs talents.

Ni l’auteur, ni l’acteur, ni le directeur ne peuvent vivre sans le succès, sans cet acquiescement matériel et moral : sans la recette du guichet et sans les applaudis-