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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/67

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« Un vaisseau de guerre, à moi, de 52 canons, a eu l’honneur de combattre en ligne avec ceux de Sa Majesté à la prise de la Grenade. Malgré l’orgueil maritime, on a donné la croix au capitaine de mon vaisseau, à mes autres officiers des récompenses militaires et moi, qu’on regardait comme un intrus, j’y ai gagné de perdre ma flottille, que ce vaisseau convoyait.

« Et cependant, de tous les Français quels qu’ils soient, je suis celui qui ai fait le plus pour la liberté de l’Amérique, génératrice de la nôtre, dont, seul, j’osai former le plan et commencer l’exécution malgré l’Angleterre, l’Espagne et la France même ; mais je n’étais point classé parmi les négociateurs, mais j’étais étranger aux bureaux des ministres, inde iræ.

« Lassé de voir nos habitations alignées et nos jardins sans poésie, j’ai bâti une maison qu’on cite ; mais je n’appartiens point aux arts, inde iræ.

« Qu’étais-je donc ? Je n’étais rien que moi, et moi tel que je suis resté, libre au milieu des fers, serein dans les plus grands dangers, faisant tête à tous les orages, menant les affaires d’une main et la guerre de l’autre, paresseux comme un âne et travaillant toujours, en butte à mille calomnies, mais heureux dans mon intérieur, n’ayant jamais été d’aucune coterie, ni littéraire, ni politique, ni mystique, n’ayant fait de cour à personne, et partant repoussé de tous. »

Vous sentez sans doute la mélancolie qui se dégage de ces aveux dont le ton fait penser au fameux monologue de Figaro, mais on ne saurait s’apitoyer. L’écri-