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Page:Jules Bois - Visions de l'Inde.djvu/154

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VISIONS DE L’INDE

Quand je suis réveillé, une tristesse immense me gagne, cette maladie de la solitude, qui fauche là-bas plus d’Européens que la malaria, la petite vérole noire, ou le choléra. C’est un spleen spécial, fait de la tristesse éternelle de l’Inde, du regret de la patrie, de cette angoisse, de ce malaise qui ne vous quitte pas, en cette ambiance de fièvres, de famine et de peste ; vos mains deviennent moites, votre cerveau se voile, le pouls bat inquiètement, le foie se gonfle, des sueurs toxiques imprègnent votre peau. Vous vous sentez dépaysé, arraché, de la douce Europe, loin des bras et du sourire de l’aimée lointaine, dans la crainte des scorpions et des serpents, avec la vague hostilité autour de vous de ces visages noirs derrière lesquels veille une âme à jamais distante et qu’on ne pénétrera jamais. On voudrait un abri, un havre tendre ; on rêve d’une église pareille à celle des enfances pour y pleurer devant le Dieu de nos mères, loin des temples désolés et sanglants… Ici personne ou à peu près personne ne parle anglais ; pas une face blanche. Autour de moi se heurtent les troupeaux misérables des natifs, vêtus de haillons et poussés par des employés qui, bien que de leur race, pour cela même peut-être, les traitent en animaux. Au loin, un inconnu de ténèbres, une terre mystérieuse et menaçante. Je regarde une plaque sur un wagon, gril-