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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/106

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chevet de leurs victimes. Quand Brisson, président du parlement, ligueur violent, mais trop modéré aux yeux des meneurs, fut pendu dans une salle basse de la Bastille, c’est qu’il avait été désigné pour la mort par le prédicateur Julien Pelletier, un des seize : « Il faut jouer des couteaux, avait dit Pelletier[1]. » Le conseiller Larcher partagea son sort. Aubry, curé de Saint-André des Arcs, avait réclamé, du haut de la chaire, la tête du conseiller Tardif. On ne le trouva pas en même temps que le président Brisson. Le curé de Saint-Cosme, Amilthon, avec une troupe de prêtres, alla l’arracher de son lit, où il gisait malade, venant d’être saigné, et le livra aux bourreaux[2] La fureur redoubla à l’avènement de Henri IV[3] et surtout quand il se fut converti, en donnant lui-même le sens de sa conversion et de toute sa vie par ce mot célèbre : Paris vaut bien une messe. Le pape ayant reçu en grâce cet ancien chef des huguenots devenu roi très-chrétien, ne fut

  1. Palma Cayet, Chronologie novenaire, coll. Petitot, liv. I, t. LX, p. 364.
  2. L’Estoile, Journal de Henri IV, p. 68, 69.
  3. Voici un passage d’un sermon d’Aubry, prêché le 15 avril 1594 : « Mes amis, si jamais ce méchant relaps et excommunié entre dans Paris, il nous ostera notre saincte messe, fera de nos églises des estables à ses chevaux, tuera nos prestres et fera de nos ornements des chausses et livrées à ses pages. Cela est si vrai comme est vrai le Dieu que je vais manger et recevoir. » Le même Aubry, qui était curé de Saint-André des Arcs, fit une procession pour « prier M. Sainct Jacques, le bon sainct, de donner de son bourdon sur la tête à ce diable de Béarnois et de l’escrazer là devant tout le monde. » — « Je voudrais, disait Boucher, l’estrangler de mes deux mains. » Il raillait sa conversion, mettant le doigt sur la plaie : « On l’a vu en la mesme heure huguenot, et en la mesme catholique ! et puis le voilà à la messe ! et sonne le tambourin ! Vive le roy ! » — « C’est un paillard, disait-il encore, un relaps, un sacrilège, un brûleur d’églises, un corrupteur de nonnains, sanguinaire, félon, excommunié, violateur des lois divines et humaines. » — « Qu’on aiguise les poignards, » s’écriait un cordelier. — « C’est un blasphème de penser que le pape absolve le Béarnais, disait un Jésuite ; quand un ange descendrait pour me dire : « Reçois-le, » l’ambassade me serait fort suspecte. » Et le cordelier Garin ajoutait, en pleine chaire : « Il croit à Dieu comme à ses vieux souliers. Ne se trouvera-t-il pas un honnête homme qui le tue ? »