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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/14

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et n’a pas un rapport direct et facilement saisissable avec les besoins matériels, ce n’est guère que sous le coup d’une provocation directe que la foule arrive à s’émouvoir pour les intérêts de la pensée. Quand les lois sont douces, et les mœurs tournées plutôt à l’indifférence qu’au fanatisme, les défenseurs de cette liberté abstraite, dont on ne sent pas vivement le besoin, et dont on ne voit pas clairement l’absence, s’attirent presque à coup sûr le mauvais renom d’agitateurs.

En réalité, ils sont tout le contraire. J’avoue que les guerres de religion sont devenues impossibles ; mais c’est précisément parce que, depuis la Révolution française, l’oppression absolue des consciences est devenue elle-même impossible. Ce qui manque encore à la liberté manque en même temps à la paix publique. Sous le premier Empire, si quelque chose a failli troubler l’ordre intérieur, c’est le pape à Fontainebleau. Sous la Restauration, ce qui a surtout affaibli le pouvoir, en rendant difficile l’application des doctrines libérales de la Charte, c’est l’influence croissante de la congrégation. Quels que soient les dédains du monde et de la politique, je persiste à croire que la croisade des ultramontains contre l’Université a été un des périls de la royauté de Juillet. Tout récemment, en Belgique, la loi sur la charité a forcé le gouvernement à user des dernières ressources que la Constitution met entre ses mains. Pour longtemps encore, je le crains, toute guerre européenne sera une guerre italienne, et toute guerre italienne sera une guerre religieuse, même à l’insu des parties belligérantes. En un mot, tant que la tolérance ne sera pas le premier dogme de toute religion, la religion divisera les hommes.

Il y a deux sortes d’intolérance : l’intolérance religieuse et l’intolérance civile ; la première, inoffensive pour les incrédules, légitime à l’égard des fidèles, en tout cas, explicable ; la seconde, criminelle, soit qu’elle empêche ou qu’elle punisse la libre expression de la pensée