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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/15

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Qu’est-ce qu’une religion ? C’est une doctrine philosophique fondée non sur la démonstration, mais sur l’autorité.

Il y a d’autres différences entre la religion et la philosophie, mais celle-là est la principale. La philosophie tend à la vérité par l’usage de la raison ; la religion se croit en possession d’une vérité qu’elle a reçue de Dieu, et qu’elle s’efforce d’imposer à la raison elle-même. Le principe de la philosophie est la liberté, le principe de la religion est l’autorité. Il faut que cette autorité soit irréfragable[1], car, si le dogme se discute, il rentre dans le domaine de la philosophie, et dès lors il appartient à la science, et non à la foi.

Cette définition s’applique surtout à la religion catholique. Oserai-je dire que c’est de toutes les religions la plus religieuse, ce qui, pour un libre penseur, n’implique nullement que ce soit la doctrine la plus vraie, ou même la doctrine religieuse la plus voisine de la vérité philosophique. La religion païenne s’appuyait sur l’autorité comme toute religion, mais sur une autorité sans consécration, sans unité, sans règle, sans symbole. Des fictions poétiques, des traditions contradictoires, des prêtres incrédules, ne pouvaient en imposer qu’à l’ignorance la plus grossière. Les diverses églises protestantes, tout en invoquant la tradition et l’autorité de l’Évangile, font une large part à la liberté. On peut même dire qu’aujourd’hui la liberté les envahit, et qu’elles luttent péniblement pour mettre à part, comme dans une arche sainte, quelques dogmes indiscutables. Elles cessent de plus en plus d’être des églises pour devenir des écoles philosophiques. Le

  1. Les cahiers du tiers état de la ville de Paris en 1789, résumant un siècle de discussions, s’exprimaient ainsi au chapitre de la religion, art. 3 : « La religion chrétienne ordonne la tolérance civile ; » ce qui est tout autre chose que la tolérance religieuse. Au reste, on pensait encore à cette date que la tolérance civile pouvait se concilier avec l’existence d’une religion dominante.