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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/148

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leurs opinions religieuses[1]. On s’apitoyait, avec grande raison, sur les malheurs de Calas, de d’Éralonde et de Labarre[2] ; on se racontait avec horreur le sort d’Olavidès, condamné par l’inquisition d’Espagne à être renfermé dans un couvent jusqu’à la mort[3] ; mais on oubliait tout près de soi des infortunes moins tragiques qui frappaient un million de citoyens. Il y eut sans doute des réclamations, et pressantes et nombreuses ; mais à chaque fois, l’assemblée du clergé revenait à la charge pour demander l’exécution des lois. Il semblait que l’État était troublé et la morale

  1. En 1764, des collatéraux catholiques voulurent évincer des enfants de l’héritage de leur père, en se fondant sur ce que les protestans n’étant pas mariés à l’église, leurs enfants ne sont que des bâtards. Élie de Beaumont, avocat des défenseurs, publia son mémoire. « Il faut convenir, dit la correspondance de Grimm en parlant de cet ouvrage, qu’il n’y a rien de plus rare que de tels procès, et qu’on ne connaît que peu d’exemples de collatéraux catholiques qui aient cherché a priver leurs neveux ou cousins de l’héritage de leurs pères, quoique le succès des poursuites autorisées ne soit pas douteux. Cela prouve que l’honnêteté publique n’est pas une chimère, et qu’elle est au-dessus de la loi injuste et barbare. » (Tome III, p. 488.)
  2. Tout le monde sait qu’Éralonde et Labarre furent condamnés par le tribunal d’Abbeville a avoir la langue arrachée, le poing coupé, et à être brûlés vifs, pour avoir chanté une chanson impie ou licencieuse. Cette sentence fut porlée en appel au parlement, et jugée par la grand chambre présidée par le premier président. Le conseiller Pellot, rapporteur, conclut à mettre les accusés hors de cour ; mais le parlement, à sa honte éternelle, confirma l’arrêt barbare des juges d’Abbeville, par un nouvel arrêt du 4 juin 1766. On avait espéré vainement que le roi ferait grâce : Louis XV se montra inflexible, et le supplice de Labarre, qui eut lieu le 1er juillet, épouvanta toute la France. Il faut lire la Relation de la mort du chevalier de La Barre, par Voltaire.
  3. Le grand crime de don Pablo Olavidès était d’avoir traduit les tragédies de Voltaire. » On examine et l’on emprisonne toute sa vie. Ou visite ses manuscrits et sa bibliothèque. Ou y trouve les œuvres de Montesquieu, de Voltaire, de Jean-Jacques, le Dictionnaire de Bayle et l’Encyclopédie… On crie au scandale ; il est traîné dans les prisons de l’inquisition, condamné à faire amende honorable couvert d’un san-benito, et a être pendu jusqu’à ce que mort s’ensuive… Le châtiment fut réduit à la dégradation de noblesse, à l’habit de bure, et à la demeure dans un couvent où il sera assujetti à tous les devoirs de la vie monastique. » (Correspond. de Grimm, octobre 1782.) Don Pablo finit par obtenir sa grâce.