Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/21

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temps et suivant les hommes, ne décidait rien sans les consulter, et les particuliers, comme l’État, les interrogeaient sur les événements à venir, sur les décisions à prendre, et les acceptaient pour intermédiaires entre ce monde et le monde invisible. Fidèles au génie du sacerdoce, ils s’entouraient de mystères : mystères dans les dogmes, mystères dans les cérémonies. Ils avaient obtenu ou inspiré des lois terribles contre le sacrilège, et, dernière force contre la mobilité du génie national, ils avaient arraché à la superstition, à la peur, à la vanité, de grandes richesses, de vastes territoires. Ils tenaient les États et les hommes par tous les liens. La mythologie n’était pas partout une religion riante et indulgente ; Mars, Pluton, les Furies avaient leurs temples à côté de ceux d’Apollon. Aux fêtes décentes et majestueuses des panathénées succédaient les orgies des bacchantes et les impurs mystères de Cybèle, d’Artémis et d’Aphrodite. Épiménide de Crète offrit dans Athènes même, et du vivant de Solon, un sacrifice humain ; deux amis, dont l’histoire a gardé les noms, Cratinos et Aristodemos, s’offrirent d’eux-mêmes au couteau. Des lois sévères punissaient la violation des jours fériés. Pour avoir tué un oiseau consacré à Esculape, un citoyen fut mis à mort. Un enfant paya de sa vie le malheur d’avoir ramassé une feuille d’or tombée de la couronne de Diane. On poursuivit, on condamna pour cause d’impiété des hommes considérables par leurs services ou par leur génie, Eschyle, Anaxagore, Diagoras de Mélos, Protagoras. Socrate n’est que la plus illustre victime de l’intolérance en Grèce. Un grand philosophe de nos jours déclare qu’il a été légalement condamné[1].

Ce qui est particulier aux Grecs, c’est d’abord que leurs prêtres formaient des collèges séparés, et ne constituaient pas un corps unique sous l’autorité d’un souverain pontife,

  1. M. Cousin, traduction de Platon, t. I, argument de l’Apologie.