Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/22

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et ensuite que, même dans la foule, une sorte d’incrédulité, une habitude de raillerie coexistaient avec la superstition. Le peuple condamnait Socrate, et Aristophane y poussait : cependant ce même Aristophane prenait de grandes libertés avec les dieux, à la joie et aux applaudissements de toute la Grèce. Cette histoire semble pétrie de contradictions. Peut-on s’en étonner d’un tel peuple, variable en tout, fidèle seulement à son amour pour les arts, où chaque ville formait un État séparé, où chaque État se composait de minorités très-éclairées et très-instruites, et d’une foule très-ignorante, à la fois légère et superstitieuse, et qui, obéissant à des démagogues, portait capricieusement la force tantôt aux philosophes et tantôt aux prêtres ? Les minorités mêmes n’étaient incrédules qu’à moitié, et la contradiction se retrouvait jusque dans l’âme des philosophes. Les plus anciens d’entre eux, ceux qui avaient succédé immédiatement aux théologiens, n’échappèrent pas au respect que les fables inspiraient à leurs contemporains, et ne pouvant les nier, ne le voulant pas, tentèrent de les interpréter pour les mettre d’accord avec leurs propres doctrines. « Plusieurs pensent, dit Aristote[1], que, dès la plus haute antiquité, les premiers théologiens ont eu la même opinion que Thalès sur la nature ; car ils avaient fait l’Océan et Téthys auteurs de tous les phénomènes de ce monde, et ils montrent les dieux jurant par l’eau que les poètes appellent le Styx. Or, on ne doit jurer que par ce qu’il y a de plus saint, et ce qu’il y a de plus saint est nécessairement ce qu’il y a de plus ancien. » On voit par ce passage qu’Aristote lui-même, tout en rejetant la fable, la regarde comme l’expression un peu grossière d’une doctrine. Ce qu’il ajoute aussitôt après n’est nullement contradictoire, et ne fait que montrer la justesse et la modération de son esprit : « Y a-t-il réellement un système de la nature dans

  1. Métaphysique, liv. I, c. III.