Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/32

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non pour avoir nié les dieux, mais pour avoir élevé dans sa maison un autel à sa femme et un autre à son ami. Les chœurs de danse des dieux immortels, que Platon décrit dans le Timée, au lieu d’apaiser les prêtres, ne faisaient que les irriter contre lui par une apparence de doctrine religieuse nouvelle. Et en effet, ce qui dura, ce fut le symbolisme de Platon, et non le dédain d’Aristote. La religion grecque ne fut pas détruite, elle fut transformée. Toutes les écoles continuèrent de jurer par Jupiter. Les philosophes Alexandrins étaient des pontifes. Le symbolisme, un peu grossier dans les premiers philosophes, inspiré alors peut-être par la peur, sans doute aussi par une crédulité réelle, plus savant et plus libre dans Platon, presque nominal dans Aristote, devint à la fois profond et sérieux dans l’école de Plotin, parce qu’elle entreprit d’allier la raison, qui est le principe du progrès, à la tradition, qui est le principe de l’autorité.

Il faut nous souvenir ici qu’au moment où Platon flottait entre la négation et la superstition, la Grèce avait déjà produit Thalès, Pythagore, les Éléates, dont la hardiesse métaphysique n’a jamais été dépassée. Ces spéculations transcendantes, au début de la philosophie, étonnent moins peut-être que la subite invasion des sophistes, qui arrivèrent au scepticisme absolu en soulevant sur l’origine des connaissances humaines les questions mêmes que Kant a débattues avec tant d’éclat presque de nos jours. Ce qui manquait à ces esprits aventureux, c’était le sentiment du réel. Semblables à ces navigateurs qui enivrés de leurs nouvelles découvertes, ne se soucient plus de rentrer dans leur patrie, ils se jetaient avec une audace inouïe dans le champ de la spéculation, ne reculant ni devant les faits les plus positifs ni devant l’absurde, et poussant la dialectique jusqu’à ces extrémités que Leibnitz apercevait et proscrivait quand il disait avec un bon sens supérieur : cave à consequentiariis. Socrate fut préservé de ces excès par le bon sens, Platon par le sentiment exquis de l’art, qui lui