Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/40

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en cérémonies, sans aucune croyance. Quel homme sérieux aurait pu croire à cette absurde religion du polythéisme ? Cicéron, qui était pontife, assure que les vieilles femmes elles-mêmes en riaient. Rome ne manquait pourtant ni de temples ni de collèges sacerdotaux. Jamais elle n’avait eu sur ses places plus de statues de dieux, que depuis qu’elle ne croyait à rien. Ces simulacres amusaient la superstition populaire ; ils servaient au faste des grands ; tout au plus rappelaient-ils quelques souvenirs patriotiques, selon la mode des Romains, pour qui la religion n’avait jamais été qu’un symbole de la patrie ; mais depuis l’avènement des Césars, l’empereur avait pris dans le Panthéon romain la place de Rome. Il avait sa statue parmi les statues des dieux, et ce dieu-là était le seul qui conservât des adorateurs.

Tel était le monde, quand le christianisme commença à prendre des forces. Rome, qui avait à peine entendu le nom de Jésus-Christ, apprit tout à coup que cette religion nouvelle, née parmi les barbares, à l’extrémité du monde civilisé, recrutait chaque jour des milliers de sectateurs. Ils suivaient les apôtres en grandes troupes et campaient à l’approche des villes, vivant entre eux avec austérité, et enseignant une doctrine que les païens n’avaient pas connue, la doctrine de la fraternité universelle et de l’égalité des hommes devant Dieu, Une école philosophique, au milieu de tant de sophistes hardis et subtils dont les disputes n’étaient considérées que comme un vain amusement, n’aurait à coup sûr ému personne ; une religion même pouvait s’établir sans alarmer le pouvoir, car il y avait toujours au Capitole un piédestal vacant pour les divinités de fraîche date : mais il ne s’agissait cette fois ni de disputes entre savants, ni d’une forme nouvelle de la religion commune. Le nouveau dogme paraissait fait exprès pour les ignorants et les simples ; grand scandale pour les philosophes grecs, qui voyaient leur science méprisée. Il établissait un lien entre les petits, dans un