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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/48

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chez les païens, elle ne rencontra pas de résistance. Ils se convertissaient ou feignaient de se convertir : leur religion n’était pas faite pour leur donner une conscience délicate, tandis qu’il y avait chez les ariens une conviction raisonnée, et ce goût de l’apostolat particulier aux hérétiques. L’Église chrétienne, montée au pouvoir, ne déploya pas contre les ariens la barbarie dont les proconsuls de Dioclétien avaient donné l’exemple. Ce fut, si l’on veut, une persécution plus douce ; mais ce fut une persécution. L’Église devint l’ennemie de la liberté, qu’elle avait si longtemps défendue ; elle en appela au bras séculier : c’est en cela précisément que l’intolérance civile consiste, car elle n’est pas autre chose qu’un appel à la force contre le droit. Il importe assez peu, en vérité, que la persécution soit douce ou violente ; ce ne sont là que des degrés dans le crime ; et, douce le premier jour, elle ne tarde pas à devenir sanglante. Une sorte de fatalité emporte les hommes qui veulent vaincre la raison sans l’éclairer. Quand on ne sait pas être des apôtres, il faut se résigner tôt ou tard à devenir des bourreaux.

À partir du jour où l’intolérance civile fut au service de l’intolérance religieuse, elle eut, pour ainsi dire, dans son arsenal, le plus terrible des sophismes. Elle se persuada qu’elle était juste, et même clémente. Elle persécuta par charité. Elle donna le nom de frères à ses victimes. Elle prononça des paroles d’amour, tout en promulguant des sentences de mort. Elle se dit qu’elle se montrerait bienfaisante, si elle faisait acheter aux dissidents un bonheur éternel au prix de quelques souffrances. Elle ne regarda plus la liberté que comme un péril, ou ne voulut de liberté que pour elle seule. Elle appela hautement cette liberté la liberté de faire le bien, et déclara qu’elle n’en connaissait pas d’autre. Elle substitua, en un mot, sa conscience à toutes les consciences, et sa volonté à toutes les volontés. Elle entreprit de rendre les hommes heureux en dépit d’eux-mêmes, ce qui est l’éternelle prétention et l’éternelle