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Page:Kann - Journal d'un correspondant de guerre en Extrême-Orient.djvu/190

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Saint-Bernard. On traversa un chemin devenu torrent en se cramponnant aux voitures, puis tout effort devint inutile et les attelages s’arrêtèrent brusquement. J’ai tenté de donner une idée de la route chinoise sous le soleil ; je n’ose essayer de dépeindre ce qu’elle devient pendant l’orage mandchourien ; si on ne l’a pas vu, il faut avoir vécu à l’époque chaotique pour en imaginer le tableau. Une mer dei boue monte à l’assaut de nos corps : elle ne parvenait d’abord qu’aux chevilles, puis elle a grimpé le long du mollet, elle atteint presque le genou. La terre paraît vouloir nous engloutir.

Notre colonne est en misérable posture. Quelques conducteurs ont espéré faire démarrer leurs chariots en les soulageant de leur chargement, d’autres ont voulu dégager les roues à coups de pioche. Vains efforts ; malgré les encouragements et le fouet, les animaux ne peuvent avancer. Je ne sais ce que je serais devenu dans ce marécage si, à la faveur d’une éclaircie, je n’avais aperçu le chemin de fer à deux pas de la route, séparé de nous par un simple fossé. Après une courte hésitation, un dernier regard vers le convoi, je saute dans le trou ; l’eau m’arrive à la poitrine. Mes premiers essais sont infructueux ; mais enfin je monte le talus en enfonçant mes ongles dans la boue. D’un dernier effort je me hisse sur le remblai ; je suis sauvé.