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COMMENT FAUT-IL ÉTUDIER LA MORALE DE KANT ?


ni bonheur ni béatitude,… mais qui cependant par son origine est analogue à la propriété de se suffire à soi-même, qu’on ne peut attribuer qu’à l’Être suprême (p. 209-216). Et la synthèse des deux éléments du souverain bien, désir de bonheur et moralité de l’intention, s’opère ainsi par la présence de la liberté dans l’homme et par l’existence d’un Dieu qui s’est proposé, comme dernier but dans la création, sa gloire, au sens non anthropomorphique du mot, ou le souverain bien qui, au désir des êtres, ajoute la condition d’être dignes du bonheur (p. 238).

C’est en chrétien que Kant termine son œuvre. D’un côté, il affirme que la morale conduit à la religion et se complète par elle :


La loi morale conduit à la religion… tous les devoirs sont des ordres divins… des ordres de l’Être suprême… d’une volonté sainte, bonne, toute-puissante, parce que l’accord avec cette volonté peut seul nous faire espérer d’arriver au souverain bien (p. 235)… La morale nous enseigne comment nous devons nous rendre dignes du bonheur… Quand elle a clé exposée complètement… quand s’est éveillé le désir moral de nous procurer le royaume de Dieu… quand le premier pas vers la religion a été fait… cette doctrine morale peut aussi être appelée doctrine du bonheur, parce que l’espoir d’obtenir ce bonheur ne commence qu’avec la religion (p. 236).


De l’autre, c’est en termes chrétiens qu’il exprime la solution à laquelle il aboutit, jugeant insoutenable la religion naturelle, dénonçant, comme les croyants, l’insuffisance de la raison spéculative, et montrant que la nature, en nous la donnant telle, ne s’est pas comportée en marâtre, aboutissant enfin à un acte de foi analogue à celui du chrétien :

Si nous avions ces lumières que nous voudrions posséder, Dieu et l’éternité, avec leur majesté redoutable, seraient sans cesse devant nos yeux… Sans doute la transgression de la loi serait évitée, mais la valeur morale des actions n’existerait plus (p. 266)… Notre connaissance n’est élargie qu’au point de vue pratique : nous ne connaissons ni la nature de notre âme, ni le monde intelligible, ni l’Être suprême, suivant ce qu’ils sont en eux-mêmes (p. 248)… Admettre l’existence de Dieu est une hypothèse pour la raison pure, une croyance (Glaube), pour la raison pratique (p. 229)… L’honnête homme peut dire : Je veux qu’il y ait un Dieu, que mon existence dans ce monde soit encore, en dehors de la liaison naturelle, une existence dans un monde pur de l’entendement, enfin que ma durée soit infinie ; je m’attache fermement à cela et je ne me laisse pas enlever ces croyances (p. 260)…


Ainsi Kant, resté ou redevenu fidèle à ses croyances de luthérien et de piétiste, établit d’abord, par la Critique de la Raison pure, qu’il