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AVANT-PROPOS DE LA SECONDE ÉDITION


est impossible de justifier l’athéisme et le matérialisme ; puis, avec l’idéalité de l’espace et du temps, il maintient tout à la fois, contre Spinoza, la création et la liberté ; enfin, du point de vue moral, il aboutit à de fermes croyances : avec l’aide du Dieu des chrétiens, l’homme immortel peut se rapprocher de plus en plus du bonheur et de la sainteté. Son œuvre rappelle celle des apologistes, en particulier de saint Thomas qui, dans la Somme contre les Gentils, veut amener au catholicisme, avec le seul appui de la raison, les mahométans, les juifs, les hérétiques de toutes les nuances. De même Kant s’adresse aux athées et aux matérialistes, aux panthéistes et aux fatalistes, aux incrédules et aux esprits forts. Partant de la raison dont ils reconnaissent tous l’autorité, il soutient qu’on doit admettre, non le catholicisme et ses dogmes, formulés par les Conciles et les Pètes, mais le Christianisme de l’Évangile, interprété par un luthérien piétiste. Chemin faisant, les doctrines puisées chez Hume, Voltaire, Turgot, chez les savants et les philosophes, et qui portent sur l’âme, sur Dieu, sur le progrès, se transforment pour devenir chrétiennes ; les formules par lesquelles Kant dirige toute sa vie (n. H, p. 311) supposent sans doute les habitudes de l’homme et du mathématicien, mais plus encore peut-être le chrétien soucieux de compléter l’œuvre de Dieu, en se donnant des ordres pour toutes les circonstances de la vie ; la morale, comme au moyen âge la philosophie, devient sinon la servante au sens moderne du mot, du moins la collaboratrice, l’auxiliaire et l’introductrice de la religion.

Par la forme, Kant s’éloigne bien plus encore de ses contemporains pour se rapprocher des scolastlques. La philosophie du moyen âge avait été ruinée en Italie, en Angleterre, en France, par Galilée, Bacon et Harvey, Gassendi et Descartes. Sans dou te, on retrouverait, dans ce dernier philosophe et dans bien d’autres, des doctrines qui viennent de saint Anselme, de saint Thomas, de Duns Scot et de leurs contemporains, mais l’argumentation scolastique, ridiculisée par Rabelais, par Montaigne, même par les hommes de Port-Royal, est abandonnée à peu près complètement par les savants et les philosophes. Il n’en est pas de même en Allemagne. Mélanchthon avait, pour l’usage des réformés, créé une scolastique dont Aristote était l’autorité principale. Les philosophes ne se séparèrent jamais complètement de cette doctrine contemporaine de la Réforme, pas plus d’ailleurs qu’ils n’ont rompu entièrement avec les croyances religieuses qu’avaient alors adoptées leurs pères. On cite souvent le mot de Leibnitz : « |1 y a de l’or dans le fumier de la scolastique ». On se rend un compte plus exact de l’impor-