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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/154

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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

que ce texte puisse la comporter pour qu’on doive la préférer à une interprétation littérale dépouillée de tout avantage pour la moralité ou même absolument contraire à ses mobiles[1]. ― On trouvera d’ailleurs que c’est de cette sorte qu’on en a usé de tout temps avec les diverses croyances anciennes et modernes tirées en partie de livres sacrés, et que des prédicateurs (Volkslehrer) pleins de sens et de bonnes pensées les ont ainsi interprétées jusqu’à ce qu’ils aient réussi à les mettre d’accord d’une façon complète, dans leur contenu essentiel, avec les principes de la foi morale et universelle. Les philosophes moralistes, chez les Grecs, puis chez les Romains, traitèrent [exactement] ainsi leur théologie fabuleuse. Ils surent arriver à donner le polythéisme le plus grossier comme une simple

  1. [Pour illustrer cela par un exemple, prenons le psaume LIX, v. 11-19, où nous trouvons des imprécations effroyables. Michaelis (Morale, 2e partie, p. 202) approuve ces cris de vengeance et il ajoute : « Les psaumes sont inspirés ; si l’on demande ici à Dieu un châtiment, c’est que cela ne saurait être injuste et nous ne pouvons pas avoir une morale plus sainte que la Bible. » Je m’en tiens à ces derniers mets et je demande s’il faut interpréter la morale d’après la Bible et s’il ne faut pas au contraire expliquer la Bible moralement ? ― Sans même rapprocher du passage en question celui du Nouveau Testament : « Il fut dit à nos pères…, etc. ; moi je vous dis : aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent », etc., tout aussi inspiré, et sans chercher comment ces deux textes se concilient, je tâcherai de le mettre d’accord avec mes principes moraux subsistant par eux-mêmes (en disant, par exemple, que ce n’est pas d’hommes en chair et en os qu’il est question dans ce passage, mais que, derrière eux, il faut voir d’invisibles ennemis qui nous sont beaucoup plus nuisibles, je veux parler des mauvaises inclinations qu’il nous faut souhaiter de mettre complètement sous nos pieds), et s’il ne m’est pas possible d’y parvenir, j’aimerais mieux admettre qu’il ne faut pas trouver un sens moral à ce passage et qu’il faut seulement l’entendre suivant le rapport dans lequel les Juifs se croyaient avec Dieu, leur chef politique, ainsi que d’ailleurs on le fait pour un autre passage de la Bible où il est dit : « À moi appartient la vengeance ; je rendrai le mal pour le mal, dit le Seigneur ! » que l’interprétation commune donne comme une interdiction morale de la vengeance personnelle, bien qu’il n’exprime vraisemblablement que la loi, valable dans tout État, obligeant l’offensé à demander satisfaction au tribunal du souverain et l’on ne doit pas regarder comme une approbation du désir de vengeance du plaignant le droit que lui laisse le juge de demander une punition aussi forte qu’il la désire.]