Aller au contenu

Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

réfléchit, en effet, qu’il lui faudra un jour quitter ce monde, et que ce sera peut-être bientôt, sans pouvoir emporter dans l’autre rien de ce qu’il aura possédé ici-bas, il se résout alors à rayer de ses comptes les sommes qu’il pourrait, lui ou l’égoïsme son maître, réclamer sur terre légalement à des hommes nécessiteux et à se procurer de la sorte, pourrait-on dire, des billets payables dans l’autre monde ; en quoi sans doute il procède plutôt prudemment que moralement, pour ce qui a trait aux mobiles de ces actes de bienfaisance, mais il se conforme à la loi morale, au moins à la lettre de cette loi, et il peut espérer que son procédé, malgré tout, aura sa récompense au ciel (in der Zukunft)[1]. Si l’on compare avec cela le passage où il est question du bien qu’on fait aux pauvres sous l’impulsion des simples motifs du devoir (Math. XXV, 35-40), on y verra que le Juge du monde déclare que ceux-là qui ont secouru les nécessiteux sans même songer que par là ils méritent une récompense et, pour ainsi dire, obligent le ciel à la leur donner, justement parce qu’ils accomplissent ces actions sans avoir égard à la récompense, sont les élus véritables de son royaume ; et, par suite, on se rendra compte que le Maître de l’évangile, quand il parle de récompense à recevoir dans un monde futur, ne se propose pas d’en faire le mobile des actes humains, mais se borne à la présenter (en qualité d’image édifiante de la bonté et de la sagesse parfaites manifestées par Dieu dans la direction de

  1. Nous ne connaissons de la vie future et ne devons d’ailleurs chercher à en voir que ce qui sa trouve en accord rationnel avec les mobiles de la moralité et avec leur fin. De cet ordre est aussi la croyance qui veut que toute bonne action doive infailliblement avoir pour son auteur, dans un monde futur, des conséquences bonnes ; et que, par conséquent, à quelque degré qu’il mérite la réprobation vers la fin de sa vie, l’homme ne doive pas cependant renoncer à faire au moins encore une bonne action, s’il le peut, parce qu’alors il a des raisons d’espérer que, dans la mesure où il y attache une pure et bonne intention, cette action aura plus de prix que toutes ces espèces de purifications inertes, qui, sans amoindrir en quoi que ce soit la culpabilité, visent à suppléer au défaut de bonnes actions.