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Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/263

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DU VRAI CULTE ET DU FAUX CULTE

parties immédiatement précédentes. Il ne nous reste donc à traiter maintenant que des moyens de grâce (qu’il ne faut pas confondre avec les effets de la grâce[1], influences morales surnaturelles, dans lesquelles nous sommes uniquement passifs, mais dont la prétendue expérience est une extravagante erreur du ressort du pur sentiment).

1. La prière conçue comme culte formel, comme culte intérieur de Dieu, par conséquent comme moyen de grâce, est une erreur superstitieuse (un fétichisme) ; car elle n’est pas autre chose qu’une déclaration faite de nos souhaits à un être qui n’a aucun besoin de se voir expliquer nos sentiments intimes ; elle équivaut conséquemment à rien ; on n’accomplit par elle aucun des devoirs imposés par les commandements de Dieu, et, par suite, elle ne saurait effectivement servir Dieu. Souhaiter d’être agréables à Dieu par nos intentions et nos actes, et le souhaiter de tout cœur, en accompagnant toutes nos actions du sentiment que nous les consacrons au service de Dieu, voilà l’esprit de la prière qui peut et qui doit « sans relâche » exister en nous. Quant à revêtir ce souhait (ne fût-ce qu’intérieurement) de paroles et de formules[2], cela peut tout au plus avoir la valeur

  1. Voyez la Remarque générale à la fin de la première partie.
  2. Dans le souhait intérieur, dont nous faisons l’esprit de la prière, l’homme tend seulement à agir sur lui-même (à vivifier ses sentiments au moyen de l’Idée de Dieu), tandis que dans celui qu’il exprime par des paroles, et par suite extérieurement, il cherche à influer sur Dieu. Les prières du premier genre peuvent donc être faites avec la plus grande sincérité, bien que l’homme soit loin d’avoir la prétention de pouvoir assurer même existence de Dieu comme une chose absolument certaine ; les prières du second genre, discours que l’on adresse à Dieu, supposent cet objet suprême comme étant présent personnellement, et nous font prendre au moins (même intérieurement) l’attitude requise de gens pour qui sa présence n’est pas douteuse, dans l’espoir que, si même il n’en était rien, au lieu de nous nuire, cette attitude pourra plutôt nous gagner sa faveur ; ce genre de prière (la prière parlée) ne peut donc présenter un degré de sincérité aussi parfait que le premier (le simple esprit de la prière). ― Pour trouver confirmée la vérité de cette observation, vous n’avez qu’à imaginer un homme pieux, bien pensant, mais par ailleurs borné par rapport aux concepts religieux ainsi purifiés, qui serait surpris