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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/154

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en ce monde où « les pensées et les sentiments sont si passagers », il donne trop de son âme, il jette constamment des perles… — et ne reçoit en réponse que des railleries, des conseils pratiques, des désillusions ; il est incompris par ses amis les plus proches et qui l’aiment le plus. Nous avons mentionné plus haut le splendide monologue d’Aldo finissant par les mots : « Mais le poète, c’est moi ! Le cœur brûlant qui se répand en vers brûlants, je ne puis l’arracher de mes entrailles… Qu’est-ce donc que la poésie ? Croyez-vous que ce soit seulement l’art d’assembler des mots ? »

Ces lignes ne disent-elles pas la même chose que ce que nous dit Heine[1]:

Und als ich ûber meine Schmerzen geklagt,
Da habt Ihr gegæhnt und nichts gesagt ;
Doch als ich sie zierlich in Verse gebracht,
Da habt Ihr mir grosse Elogen gemacht !!…

Dans notre vie habituelle, ne voyons-nous point, à chaque pas, souffrir des gens qui, semblerait-il, n’auraient qu’à se laisser vivre ; ils possèdent tout ; tout autre, à leur place, serait content et heureux, et eux, ils aspirent toujours à quelque chose d’inconnu. Que veulent-ils ? Ils se passionnent pour des choses ou des personnes qui ne méritent ni leur amour ni leur admiration, se désenchantent, brûlent, usent en vain leur âme, souffrent et se tourmentent. Et pourquoi tout cela ? Ce sont toujours des Aldo-Rimeurs, ils sont tous nés avec une âme poétique, et s’ils n’écrivent pas de vers, ce n’est qu’une dissemblance toute extérieure.

  1. « Et quand je me suis plaint de mes douleurs, vous avez bâillé et vous ne m’avez rien dit ; mais lorsque je les ai mises en jolis vers, vous m’avez adressé de grands éloges… »