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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/367

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George Sand, pour ne pas indisposer ses juges contre elle, retarda pendant la durée de son procès, de livrer à l’impression ce roman, ce qui irrita beaucoup Buloz[1], — puis elle se décida à ne pas du tout publier cet ouvrage et à le brûler, soit à cause du changement qui commençait à s’opérer dans son amitié pour Michel, ou peut-être pour d’autres motifs d’un caractère plus intime. Par sa lettre inédite à Duteil du 11 novembre 1836, on voit que le manuscrit de ce roman existait encore à cette époque et se trouvait à Nohant, dans une des armoires à côté du « volume de Lélia » barbouillé de corrections et de ratures. Duteil était chargé d’envoyer les deux romans à Paris. Cette lettre prouve qu’Engelwvald ne fut brûlé que plus tard[2]. Quoi qu’il en soit, Buloz, qui avait payé d’avance, voulait qu’on s’acquittât envers lui, et George Sand se crut obligée de se livrer à un travail au-dessus de ses forces[3].

Et c’est ainsi que toute seule dans sa vaste et vieille maison, prêtant une oreille anxieuse, tantôt aux divagations de deux pauvres enfants en délire, tantôt aux hurlements du vent dans les cheminées, et au bruissement sec de la neige dans les branches des arbres dénués de leurs feuilles[4], cruellement torturée par la jalousie et par les doutes sur l’amour de Michel, George Sand mettait la dernière main à Mau-

  1. Correspondance, t. I. Lettre à Franz Liszt du 5 mai 1836, p. 359-363.
  2. Cet ouvrage ne fut détruit que bien plus tard, vers 1862, à Palaiseau, lorsque Manceau brûla sur l’ordre de George Sand plusieurs de ses papiers et documents.
  3. Correspondance, t. II. Lettres déjà mentionnées plus haut (p. 263), à Janin du 15 février 1837, à Liszt du 28 mars, à la comtesse d’Agoult du 10 et du 21 avril et à Scipion du Roure du 13 avril. Voir aussi Lettres de femme, dont quelques fragments, concernant ce travail, qui dépassait ses forces, ont aussi été cités p. 263.
  4. Elle écrit le 13 avril à Scipion du Roure : « Solange vient d’être assez malade, moi je suis éreintée de travail. Le printemps est affreux ici, le rossignol a chanté trois jours sous la neige !… »