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Page:Klapka - Trois Hommes en Allemagne, traduction Seligmann, 1922.djvu/301

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à peine. Frau Professeur et Frau Charcutière se rencontrent au Kaffeeklatsch hebdomadaire et échangent les derniers potins avec la plus franche cordialité. Le loueur de chevaux et le médecin trinquent en frères dans leur brasserie favorite. Le riche entrepreneur en bâtiment, lorsqu’il projette une excursion en voiture, invite son contremaître et son tailleur à se joindre à lui avec leur famille. Chacun apporte sa part de vivres et tous en chœur entonnent en rentrant le même refrain. Un homme ne sera pas tenté, tant que durera cet état de choses, de sacrifier les meilleures années de sa vie au désir d’amasser une fortune pour ses vieux jours. Ses goûts et davantage encore ceux de sa femme restent modestes. Il aime dans son appartement ou sa villa les meubles en peluche rouge avec une profusion de laque et de dorure. Mais cela le regarde ; et il se peut que ce goût ne soit pas plus critiquable que celui qui mêle du mauvais Élisabeth à des copies de Louis XV, le tout orné de photographies et éclairé à la lumière électrique. Il fait décorer la façade de sa maison par l’artiste du pays : une bataille sanglante, largement coupée par la porte d’entrée, en garnit le bas ; tandis qu’un ange, ayant la tête de Bismarck, voltige entre les fenêtres de la chambre à coucher. Il lui suffit de voir des tableaux de maîtres anciens au musée ; et, comme la mode d’avoir des œuvres d’art à domicile n’a pas encore pénétré dans le Vaterland, il ne se sent pas forcé de gaspiller son