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Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/155

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La situation est si grave que M. Gladstone, avant d’arriver au pouvoir, avait pris vis-à-vis des représentants irlandais l’engagement formel de présenter un projet de loi, d’après lequel les grands propriétaires actuels du sol seraient expropriés pour cause d’utilité publique, et le sol, après avoir été déclaré propriété de la nation entière, vendu au peuple, en parcelles amortissables en vingt-cinq ans par annuités. Mais il est évident que jamais pareille loi ne sera votée par le parlement anglais, puisqu’elle porterait du même coup une atteinte mortelle au principe de la propriété foncière en Angleterre. Il n’y a donc pas lieu de prévoir que le conflit puisse se terminer d’une manière pacifique. Il se peut certainement qu’un soulèvement général des paysans puisse être conjuré encore une fois comme il le fut en 1846 ; mais, la situation restant la même, ou plutôt empirant, il est à prévoir que le jour n’est pas loin où le peuple irlandais sera enfin à bout de patience après tant de souffrances et de promesses manquées. Qu’il se présente une occasion propice à la suite d’une désorganisation momentanée du pouvoir en Angleterre, et le paysan irlandais, poussé par les sociétés secrètes, soutenu par la petite bourgeoisie villageoise qui aimerait bien mettre en scène, à son profit, un nouveau 1793, sortira enfin de son taudis pour faire ce que tant d’agitateurs lui conseillent de faire aujourd’hui : il promènera sa torche sur les châteaux, il engrangera pour son compte les blés des seigneurs et, expulsant leurs agents, démolissant les bornes, il s’emparera de ces terres qu’il convoite depuis tant d’années.