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Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/28

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dividu de ses obligations morales envers ses semblables et ne lui en imposent qu’envers un Être suprême, — une abstraction invisible, dont on peut conjurer le courroux et acheter la bienveillance, pourvu qu’on paie bien ses soi-disant serviteurs.

Mais les relations de plus en plus fréquentes qui s’établissent aujourd’hui entre les individus, les groupes, les nations, les continents, viennent imposer à l’humanité de nouvelles obligations morales. Et à mesure que les croyances religieuses s’en vont, l’homme s’aperçoit que, pour être heureux, il doit s’imposer des devoirs, non plus envers un être inconnu, mais envers tous ceux avec lesquels il entrera en relations. L’homme comprend de plus en plus que le bonheur de l’individu isolé n’est plus possible ; qu’il ne peut être cherché que dans le bonheur de tous, — le bonheur de la race humaine. Aux principes négatifs de la morale religieuse : « Ne vole pas, ne tue pas, etc. » viennent se substituer les principes positifs, infiniment plus larges et grandissant chaque jour de la morale humaine. Aux défenses d’un Dieu, que l’on pouvait toujours violer quitte à l’apaiser plus tard par des offrandes, vient se substituer ce sentiment de solidarité avec chacun et avec tous qui dit à l’homme : « Si tu veux être heureux, fais à chacun et à tous ce que tu voudrais que l’on te fît à toi-même. » Et cette simple affirmation, induction scientifique, qui n’a plus rien à voir avec les prescriptions religieuses, ouvre d’un seul coup, tout un horizon immense de perfectibilité, d’amélioration de la race humaine.

La nécessité de refaire nos relations sur ce principe — si sublime et si simple, — se fait sentir chaque