Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/432

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Mais si ce n’était que la Vendée ! Partout, en France, la guerre créa une situation si affreuse pour la grande masse des gens pauvres, qu’on est à se demander comment la République réussit à traverser une crise aussi formidable.

La récolte de 1792 était bonne pour les blés. Elle n’était médiocre, à cause des pluies, que pour les petits blés. L’exportation des céréales était défendue. Et avec tout cela, on avait la famine ! Dans les villes, de longtemps on ne l’avait vue si terrible. De longues files d’hommes et de femmes assiégeaient les boulangeries et les bouchers, passant toute la nuit sous la neige et la pluie, sans même être sûrs d’emporter demain une miche de pain, payée un prix extravagant. Et cela — à un moment où il y avait arrêt presque complet de tout un nombre d’industries, et pas de travail.

C’est qu’on n’enlève pas impunément à une nation de vingt-cinq millions d’habitants, près d’un million d’hommes dans la fleur de l’âge, et peut-être un demi-million de bêtes de trait pour les besoins de la guerre, sans que la production agricole s’en ressente. On ne livre pas non plus les denrées d’une nation au gaspillage inévitable des guerres, sans que la pénurie des miséreux ne devienne d’autant plus noire, alors même qu’une nuée d’exploiteurs s’enrichissent aux dépens du trésor public[1].

  1. Quelques intendants des armées de la République se livraient à des vols scandaleux. Il y en avait qui faisaient des fortunes en quelques mois. On peut aussi imaginer les spéculations auxquelles on se livrait, lorsque les intendants faisaient des achats immenses de blé précisément dans les départements où la récolte avait été mauvaise et les prix étaient très hauts. Les spéculations à la hausse des prix de blé, que Septeuil faisait jadis pour le compte de Louis XVI (car « le bon roi » ne négligeait pas ce moyen de remplir sa caisse), se faisaient maintenant pour des bourgeois.