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Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/90

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Depuis que les États-Généraux s’étaient réunis à Versailles, la plus grande animation régnait à Paris. Le Palais-Royal, avec son jardin et ses cafés, était devenu un club en plein air, où dix mille personnes de toutes conditions venaient se communiquer les nouvelles, discuter les brochures du jour, se retremper dans la foule pour l’action future, se connaître, s’entendre. Tous les bruits, toutes les nouvelles recueillies à Versailles par le club Breton étaient immédiatement communiquées à ce club houleux de la foule parisienne. De là elles se répandaient dans les faubourgs, et si parfois la légende s’y ajoutait, chemin faisant, à la réalité, elle était, comme c’est souvent le cas pour les légendes populaires, plus vraie même que la vérité, puisqu’elle prenait les devants, faisait ressortir sous une forme légendaire les motifs secrets des actions et, par intuition, jugeait souvent les hommes et les choses plus justement que les sages. Qui donc, mieux que les masses inconnues des faubourgs, jugea Marie-Antoinette, la Polignac, le roi fourbe et les princes ? Qui donc les devina mieux que le peuple ?

Dès le lendemain de la séance royale, la grande cité respirait déjà la révolte. L’Hôtel de Ville adressait ses félicitations à l’Assemblée, et le Palais-Royal lui envoyait une adresse rédigée dans un langage guerrier. Pour le peuple, affamé, méprisé jusque-là, le triomphe de l’Assemblée renfermait une lueur d’espoir, et l’insurrection représentait à ses yeux le seul moyen de se procurer le pain qui lui manquait. Alors que la disette devenait de plus en plus sévère et que même les mauvaises farines, jaunes et brûlées, que l’on réservait pour les pauvres, manquaient continuellement, le