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Page:Léo Taxil - Les trois cocus.pdf/204

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LES TROIS COCUS

dames et messieurs, ainsi que vous, nobles militaires, et, pour combler les vœux de vos légitimes impatiences, je vais avoir l’avantage de vous montrer l’un des mollets, admirables de souplesse, de vigueur et de carnation, dont la Providence, dans sa toute-puissante générosité, m’a fait la grâce de me doter.

Le boniment fini, Tatakoukoum relève un côté de sa jupe et exhibe l’un de ses mollets.

L’assistance se pâme et s’extasie.

On crie : — Bravo !

Un vieux sergent affirme n’avoir jamais vu un mollet « aussi corpulent ».

Mais un amateur, insatiable d’exhibitions, a la baroque idée de réclamer l’autre mollet.

Tatakoukoum, esquissant son plus gracieux sourire, retrousse l’autre côté de sa jupe et montre… un mollet blanc. Athanase Perrimet avait oublié de le cirer.

La vue de ces mollets dépareillés provoque dans l’assemblée une explosion de fou rire, qui est bientôt suivie des murmures des mauvais coucheurs.

— Nous sommes volés, disent les paysans à tempérament hargneux, rendez l’argent !

Perrimet, qui tient à la recette, ne perd pas la carte. Il s’élance sur la scène et beugle d’une voix de Stentor :

— Non, mesdames ! non, messieurs ! non, vertueux et nobles militaires ! non, vous n’êtes pas volés ! Vous Clés en présence d’un des mystères insondables de la nature. Vous avez tous appris dès le berceau que les grandes frayeurs produisent un étrange phénomène en blanchissant instantanément, en tout ou en partie, les individus qui les éprouvent. C’est ainsi que des jeunes bruns, à la chevelure d’un noir de corbeau, ont eu subitement leur crinière blanc de neige à ta suite d’une épouvante, parce que chez eux la frayeur s’était poilée dans les cheveux. Eh bien ! un phénomène analogue s’est produit, il y a six ans, sur la superbe Tatakoukoum, mon épouse, et c’est ce qu’elle allait avoir l’honneur de vous expliquer si elle n’avait été interrompue : ma cage aux serpents avait été laissée ouverte la nuit par mégarde, et le matin Tatakoukoum se réveilla brusquement, enlacée par les reptiles. N’étant pas préparée à cette surprise, elle éprouva dans son sang la révolution dont je viens de parler ; seulement, chez elle toute la frayeur s’est portée vers la jambe gauche. Voilà pourquoi son mollet gauche est blanc. Et, comme quelques matins faisaient mine de ne pas être convaincus, Athanase Perrimet ajouta :