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Page:Léo Taxil - Les trois cocus.pdf/203

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LES TROIS COCUS


de crocodile. C’est pour cela, mesdames et messieurs, ainsi que vous, nobles militaires, c’est pour cela, dis-je, que j’ai dans les veines un sang indomptable, tout en étant d’une sensibilité vraiment extraordinaire ; car le crocodile est un animal très calomnié, et, moi qui ai eu deux de ces amphibies pour père et mère nourriciers, je puis dire que le crocodile n’a pas la cruauté qu’on lui attribue, qu’il est d’un naturel facile à émouvoir, et même qu’il pleure comme un enfant en bas âge.

À ce passage du boniment, Tatakoukoum s’interrompt et se met à pleurer pour imiter le crocodile. Après une minute de cet exercice, qui a le don d’attendrir les nourrices de l’auditoire, elle reprend :

— Mesdames et Messieurs, ainsi que vous, nobles militaires, vous voyez en moi la créature la plus robuste qu’aient enfantée l’Afrique centrale et les sables brillants du grand désert. Le sang de mes veines est indomptable, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire ; le docteur Livingstone, dont j’ai guidé les pas pendant sa recherche des sources du Nil, affirme, dans ses Mémoires, que, m’ayant pratiqué une saignée, il ne saurait comparer mon sang qu’à de la lave du Vésuve.

Mouvement d’admiration du côté des sapeurs.

— À onze ans, je fendis un palmier en deux comme s’il s’était agi d’un simple fétu de paille, et, le fils du roi de La tribu des Krikochouchou m’ayant manqué de respect dans une cérémonie publique, je le pris par un pied, le fis tournoyer à travers l’espace et le projetai à soixante mètres, ce qui occasionna sa mort ; car, dans sa chute, il se brisa le crâne sur la pointe d’un obélisque planté au milieu d’une oasis en mémoire d’une bataille célèbre où les Krikochouchou avaient battu à plate couture les Bomb-Akoko. Je fus alors l’occasion et le prétexte d’une nouvelle guerre. Les Krikochouchou m’ayant capturée traîtreusement pour venger le trépas lamentable du fils de leur roi, les Bomb-Akoko, qui avaient pour moi une grande estime, relevèrent le gant, se ruèrent sur leurs ennemis et me délivrèrent. Vous voyez, par ce rapide aperçu de mon histoire, que j’ai eu une enfance très accidentée. Je ne vous raconterai pas mes autres péripéties et aventures, à la suite desquelles je vins en France pour m’instruire dans l’art de la civilisation et les belles-lettres, noble pays qui est devenu ma seconde patrie et où j’ai reçu le saint baptême, sans compter celui qui est administré aux passagers des navires en traversant l’Equateur. Mais je n’abuserai pas de vos instants précieux, mes-