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LES TROIS COCUS

épines d’un oursin qui déchirèrent, pour la première fois, la robe de sa chasteté conjugale.

Mme Campistron, en allant se fixer à la capitale, avait conservé de bonnes relations à Marseille avec tous ses parents, et surtout avec un vieux grand-oncle et une vieillie grand’tante, M. et Mme Garoutte. Ces deux antiques débris de la branche féminine de Bellonnet demeuraient au cours Bonaparte (actuellement cours Pierre-Puget), et c’était chez eux que Pauline avait son pied-à-terre quand elle venait, dans la cité phocéenne, vivre quelques jours d’une existence embaumée de parfums méditerranéens.

À Marseille, la saison des bains de mer commence tôt. Dès les premiers jours de juin, la clientèle afflue dans les établissements de la plage du Prado et de la petite baie rocailleuse d’Endoume.

Pauline, nageuse consommée, ne manquait jamais d’accourir aussitôt que l’eau était annoncée comme supportable. Son établissement favori était celui des Catalans.

Cette année-là, contrairement à l’habitude, il n’y avait pas trop de baigneurs ; non pas que l’eau fût encore froide, mais parce qu’il courait en ville des bruits sinistres. Les journaux affirmaient qu’un navire marchand, revenant de l’Italie avec un chargement de viandes mal salées, avait jeté en vue de la Corse une partie de cette cargaison infectante, à la grande joie des requins dont ces parages sont encombrés ; et l’on ajoutait qu’une dizaine de ces squales féroces avaient suivi le bateau jusque dans la rade de Marseille. L’Égalité, le Sémaphore, le Petit Marseillais, le Citoyen et la Gazette, toute la presse de l’endroit, en un mot, avait raconté les luttes homériques engagées, aux environs de Planier ou de l’île Pomègue, entre les requins et les barques de pêcheurs aventureux.

La ville se trouvant sous le régime de l’état-de-siège, la commission municipale avait demandé au général d’envoyer dans la rade un remorqueur garni de soldats armés jusqu’aux dents pour exterminer les poissons maudits.

Naturellement, la force armée n’avait pas trouvé la queue d’un requin et le remorqueur s’en était revenu bredouille, pour la plus grande gloire du chroniqueur fumiste qui avait donné le vol à ce gigantesque canard.

Toutefois, bon nombre d’amateurs de bains de mer n’étaient pas trop rassurés, et les établissements chômaient. Celui du Roucas-Blanc, principalement, qui, déjà en temps ordinaire, est délaissé par la population, voyait ses actions de plus en plus en baisse.