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Page:Léo Taxil - Les trois cocus.pdf/47

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LES TROIS COCUS

ment que j’implore à vos genoux, il me manque ce « oui » que vous me refusez, bien que ma flamme soit pure ; car, vous le savez, ce n’est pas à la honte que je veux vous mener, comme vos autres adorateurs ; non, c’est par les liens les plus légitimes, chère Paméla, que je voudrais que nous fussions liés…

— Plus bas, monsieur Pharamond, je vous en prie… Il y a, derrière ces cloisons à jour, des clients qui peuvent nous entendre.

En effet, pendant ce dialogue, les clients entraient et sortaient. Le service ordinaire était effectué par une bonne : il n’y avait que dans les cas de grande presse que Mlle Paméla donnait un coup de collier. C’était du reste une justice à lui rendre, elle n’était pas fainéante et mettait volontiers la main à la pâte.

Mais Pharamond Le Crêpu se souciait peu d’être entendu ou non par la clientèle de l’établissement. Il tira de sa poche un rouleau de papier.

— Tenez, cruelle, écoutez, dit-il, les vers que vous m’inspirez. Voici la poésie que j’ai faite hier soir en vous quittant et sous les rayons de la pâle lune.

Et il se mit en devoir de déclamer :

Le front dans la nuée et les pieds dans l’a…

— Plus bas, monsieur Pharamond, plus bas ! reprit Mlle Dujasmin,

Le poète recommença en baissant un peu le ton :

Le front dans la nuée et les pieds dans l’abîme,
Clairon de l’Idéal, je sonne le réveil ;
Mais, brûlé par l’Amour, l’Amour qui me décime,
Je sens mon cœur sécher comme un linge au soleil.

À ce vers, le poète fut interrompu par une explosion de sanglots qui partaient d’un compartiment à droite du comptoir. On se précipite, on frappe à la porte,

— Qu’avez-vous, monsieur ? Est-ce que vous vous trouvez mal ?

— Non, madame, répond à travers la cloison une voix larmoyante, c’est que je suis une nature sensible ; je ne puis pas entendre une poésie sans que cela me fasse pleurer.

Cette nature sensible, c’était M. Garoutte, l’oncle de la colonelle, vieux bonhomme de soixante-quinze ans. En sortant du buen-retiro, il essuya ses yeux et adressa une profonde révérence à Pharamond Le Crêpu. Le poète voulait reprendre sa lecture. À ce moment, un flot de clients se pré-