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Page:Léo Taxil - Les trois cocus.pdf/69

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LES TROIS COCUS

moment quelconque contraint d’épouser, il avait résolu de ne brûler sa flamme qu’auprès de dames déjà bel et bien mariées.

Le soir de son dîner en tête-à-tête avec la colonelle chez Isnardon, à Marseille, il s’était dit, en dévorant des yeux la charmante Pauline :

— Voilà ma beauté intellectuelle, amour numéro 1.

Il lui restait a trouver ses deux autres compléments, — pour nous servir du terme de M. Naquet, — beauté physique et beauté sentimentale, amours numéro 2 et numéro 3. Il lui fallait créer dans son entourage une trinité de cocus.

Pauline, en le quittant, avait refusé de lui donner son adresse à Paris. Robert n’avait pas hésité, Il avait commencé par vérifier l’exactitude du peu que lui avait confié la belle : savoir, qu’elle se nommait Pauline Campistron de Bellonnet et quelle était l’épouse légitime d’un colonel en retraite. Pour cette vérification, il n’eut qu’à interroger adroitement l’épicière la plus à proximité de la maison habitée par les Garoutte. Puis, quand il fut bien certain de l’identité de son amour numéro 1, il fila prestement à Paris, devançant l’arrivée de Pauline. Ouvrir le Didot-Bottin, y prendre l’adresse d’une agence de renseignements confidentiels, courir à l’agence et déposer au directeur une somme de cinquante francs, en disant :

— J’ai besoin d’un renseignement très pressé : où demeure à Paris M. Campistron de Bellonnet, colonel en retraite ?

Tout cela fut l’affaire d’une heure à peine.

Le lendemain, il recevait du directeur de l’agence, qui était allé puiser ses indications au ministère de la guerre et à la Légion d’honneur, un mot de billet ainsi conçu :

— Domicile demandé : boulevard Saint-Michel, 47, au troisième.

Comme il se frotta joyeusement les mains, ce jour-là !… Ah ! Mme la colonelle avait refusé de lui faire connaître son domicile ! Le soir du 5 juin, elle lui avait dit avec une moue délicieuse :

— Non, monsieur, non, vous ne saurez pas mon adresse… Ce n’est pas parce que j’ai été légère ce soir qu’il faut que je perpétue ma faute… Péché isolé n’existe guère ; mais péché répété est un crime…

— Et moi, chère Pauline, je vous dis que je veux être criminel jusqu’au bout, tout le temps, avec aggravation de nombreuses récidives…

— Taisez-vous, vous êtes un vaurien.