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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/121

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MÉMOIRE ET DESIR.

deux perspectives : l’une immédiate, l’autre, lointaine, qui tantôt s’interfèrent et s’obnubilent mutuellement, quand elles sont de signe contraire, tantôt, quand elles sont de même signe, se renforcent et se multiplient. De même qu’un flambeau, entre deux miroirs parallèles, donne une multitude d’images à des plans divers, de même une impression, une douleur, une joie, un mot, placés entre le souvenir individuel et le souvenir ancestral, peuplent le champ de la conscience d’une foule d’impressions, de douleurs, de joies, de mots, presque indéfiniment réfléchis. C’est le phénomène de l’écho intérieur, du souvenir quasi inépuisable. Chacun de nous promène ainsi, pendant toute son existence, quelques impressions renouvelées, dont la fraîcheur ou la brûlure ne semblent pas s’épuiser, ni s’éteindre, comme si elles se ravivaient sans cesse au contact des événements. Ce sont là des reliquats de l’entre-deux-mémoires, des reflets multipliés par l’ascendance.

Un écrivain tel que Gœthe (à condition de plonger dedans, non de le parcourir, comme on le fait trop souvent) est, selon moi, un type achevé de double mémoire. Il lui doit cette atmosphère caractéristique de sagesse et de sérénité, sans froideur, qui émane de son œuvre immense. Le tourment même y demeure harmonieux, et, quand il nous peint un jardin, il y a, derrière, un autre jardin plus reculé dans le passé, qui semble le reflet du premier et cependant l’éclaire doucement et, en