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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/124

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LE MONDE DES IMAGES.

logue dans une maison des environs de Nîmes, inconnue de lui, où son père et sa mère avaient habité avant sa naissance. Si chacun recherchait dans ses souvenirs personnels, on s’apercevrait, je crois, que ce phénomène est assez fréquent. C’est un cas type de mémoire héréditaire.

Ce qui se produit pour les endroits peut et doit se produire pour les circonstances. Certaines difficultés de la vie ne nous prennent pas au dépourvu, et nous en trouvons la solution avec une facilité qui semble résulter d’une expérience antérieure, héréditaire. Certaines joies, qui devraient être plus fortes qu’elles ne sont, nous paraissent émoussées, pour les mêmes raisons. L’attachement extraordinaire que certains Bretons et Provençaux, entre autres déracinés, éprouvent pour leur coin de terre natale (attachement tel qu’ils meurent parfois d’être trop longtemps éloignés de lui) tient vraisemblablement à une cause identique : à la longue, c’est-à-dire en deux, trois, quatre générations, un endroit, où nos pères, grands-parents, aïeux ont vécu, finit par faire partie de nous-mêmes, avec ses bruits, ses odeurs, ses reflets, et nous devient, non pas même psychologiquement, mais physiologiquement indispensable, comme l’air qu’on respire. L’immensité marine, souvenir cependant sans point de repère, procure aux marins, fils de marins, une nostalgie analogue, dont ils ne reconnaissent pas toujours la cause et qu’ils tournent en persistance et fidélité amoureuses. Car seule la femme peut remplacer la