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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/151

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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

cipal d’Alphonse Daudet, qui fut l’apanage de fort peu d’écrivains, était la communication émotive de l’aura de ses personimages, allant jusqu’à l’hallucination et à l’illusion de présence. Je ne vois à lui comparer, à ce point de vue, que Dickens (moins incisif et pénétrant que lui), et Dostoiewsky (moins pondéré, moins réfléchi). Cette puissance d’évocation sensible, sous les feux d’une lucide raison, c’est tout le génie d’Alphonse Daudet. J’ai écrit, naguère, là-dessus un dialogue sur l’imagination, entre mon père et moi, que l’on trouvera à la suite de l’ouvrage intitulé Alphonse Daudet.

Je pense que la mémoire héréditaire était, chez mon père, particulièrement puissante. Elle débordait même sur le songe, pendant le sommeil. On trouvera, dans ses Notes sur la vie, des récits de rêves à goût de réel, qui constituent indubitablement des témoignages de mémoire héréditaire, ou « grande mémoire. » C’est ce qui explique que son observation s’accompagnât fréquemment d’intuition et que sa puissance d’évocation fût si grande. Les spectacles de cent ans, ou de cent cinquante et deux cents ans, prolongés en nous, réveillés par les circonstances, avec le halo qui les environnait, ont une autre intensité que les spectacles de vingt, trente, quarante ans, de la mémoire personnelle. C’est la vieille eau-de-vie royale, à côté du vulgaire troix-six, ou du cognac de trois ans.

Puisqu’il est ici question de rêve, chacun connaît l’importance énorme que prend tout à coup un mot