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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/152

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LE MONDE DES IMAGES.

dans un songe. Il semble qu’il donne la clé d’un grand mystère, dont notre conscience dormante est tout éblouie. Il sonne, ce mot souvent très ordinaire, comme le trépied de la pythonisse ; et la désillusion est grande, au réveil, de le voir reprendre ses dimensions et son rang. C’est alors, n’en doutez pas, un mot venu d’une personimage, détaché d’elle avec ses prolongements physiques et son ébranlement nerveux. Quelquefois ce n’est pas un mot, c’est une phrase qui nous trouble ainsi, ou une constatation en forme d’aphorisme, ou une simple interjection. Même à l’état de veille, il peut arriver qu’un mot, perçu par nous dans une circonstance donnée, aille rencontrer son congénère, vibrant en nous héréditairement, tel un obus, au cours de la bataille, rencontre dans l’espace un autre obus. Ici il ne saurait y avoir éclatement, mais bien prolongation émotive.

L’influence mystérieuse du mot « je t’aime », constatée par tous les poètes et tous les amants, n’a sans doute pas une autre origine. Nos ancêtres ont aimé, ils ont été aimés. Leurs images en nous portent avec elles ces troubles et ces délices, souvent accompagnés d’angoisse et d’amertume, et le mot qui les exprime pleinement. Quand, à notre tour, nous aimons, elles accourent, ces personimages, attirées à la fois par le soi et par l’instinct génésique. Nous parlons, nous sentons, nous éprouvons par elles, cependant que l’objet aimé se tient là, frémissant devant nous, entre nos bras. On peut dire