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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/157

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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

mémoire individuelle et de la mémoire ancestrale est telle quelle produit une image d’image, c’est-à-dire un vocable afférent à telles et telles sensations, à telles et telles circonstances. Le chant de l’oiseau s’en rapproche. Les cris, sifflements, susurrements infiniment modifiés, diversifiés, modulés des animaux, correspondent à une mémoire circonstancielle, nullement à une mémoire congénitale. Celle-ci existe cependant chez eux, puisqu’ils héritent de mouvements et de mœurs complexes. Mais elle est limitée aux besoins du corps et ne s’allume pas dans l’esprit.

On sait le rôle du chant dans l’amour, au monde des oiseaux, lesquels, à mon avis, se rapprochent beaucoup plus de l’homme que le singe. Car s’il y a des animaux éteints, comme il y a des astres éteints, le singe est un animal éteint, une simple survivance de réflexes et de grimaces, et il a fallu toute la débilité d’esprit de la seconde partie du XIXe siècle pour ne pas s’en apercevoir. Or le rôle de la parole dans l’amour n’est pas moins considérable chez les humains. Douce, ou ardente, ou même rude, elle est un adjuvant du désir et un stimulant des images intérieures, qui maintiennent celui-ci à un taux élevé. Quand cette parole se fait rythme et cadence, par la transmission de mouvements héréditaires que nous avons décrits, elle devient la poésie lyrique, laquelle oscille entre les deux hérédofigures conjointes du rapprochement et de la disparition des corps. L’amour porte en lui l’idée de l’anéantissement, comme le soleil l’idée de la nuit.