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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/187

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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

bien que dans une série de raisons exactement contraires. Puis, comme il a une haute idée de lui-même (qu’il prend pour une haute idée de l’humain en lui), il affirmera que tout ça est voulu et qu’il a choisi la boule noire exprès. Ceci revient à dire que souvent les écrivains sont conduits par les mots, plus qu’ils ne conduisent les mots. C’est une des caractéristiques du romantisme, et qui permet de le reconnaître sous ses déguisements philosophiques.

Le synonyme est un tâtonnement, qui finit par contaminer les certitudes.

L’intensité verbale, au contraire, est un signe de vigueur d’esprit et de clairvoyance. Elle est en horreur à beaucoup de personnes, qui la prennent pour de la grossièreté, et à tous les gens timorés. Dans les milieux populaires, où l’ignorance est cause de malaise craintif, on ne dit jamais d’un spectacle qu’il est émouvant ou magnifique, on dit qu’il est « gentil ». De même, devant un accident ou une catastrophe, on ne s’écrie pas « c’est affreux ! » on dit : « c’est malheureux de voir ça ! » L’anti-mot est fréquent, comme l’antiphrase, chez les êtres qui craignent les déterminations hardies et prennent toujours le parti le plus timide, avec la peur de se compromettre.

Le romantisme, en se développant au début du XIXe siècle, a abouti, chez plusieurs écrivains, poètes et surtout poétesses, à un véritable état de pléthore verbale, de surabondance de vocables pour