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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/221

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LA SPHÉRICITÉ DES PERSONIMAGES.

La douleur également s’oublie vite, et d’autant plus vite qu’elle est plus physique et plus physiquement reliée à telle ou telle partie du corps. Les deux plus grandes et taraudantes douleurs connues (parmi celles qui n’entraînent pas nécessairement la mort), celle de l’accouchement et celle de la démorphinisation rapide, laissent peu de souvenirs dans l’esprit. Leur stade d’omission est court et elles tombent promptement dans l’oubli. Les douleurs morales, bien que diffuses, non localisées, sont plus persistantes et sujettes à réapparitions. Elles reviennent, parfois périodiquement, sur le plan de la sphère héréditaire, que frappe la lumière incandescente du soi. De sorte que le mot de la prière de Jules Lemaître n’est pas tout à fait vrai : « Seigneur, débarrassez-moi des souffrances physiques. Quant aux morales, j’en fais mon affaire. » Il n’est pas toujours possible, hélas, d’en faire son affaire !

Mon père, que j’adorais, est mort le 16 décembre 1897. Dix ans après, en 1907, alors que ma douleur de sa perte était atténuée, bien que le regret persistât, j’allai en Bretagne, à Piriac, avec ma femme, et je retrouvai le vestige d’une auberge où nous avions séjourné, en 1873, mon père, ma mère et moi. Cette auberge est située au bord de la mer, en face d’une petite cabane de garde-côte, en terre battue. La mémoire me revint aussitôt de cette période de mon enfance, associée à la survivance de mon père en moi, et provoqua aussitôt une recrudescence violente de mon chagrin. Ce fut, pendant