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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/30

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dévêtue ; tantôt il explique à Memmius sa physique ardue et compliquée, toute proche de la métaphysique, puis s’évade de là vers cette conjonction possible des corps, impossible des âmes, qui fait nos délices et notre tourment. Le verbe ici étreint l’épithète, comme l’amant étreint son amante. Là, l’épithète accolée au verbe désire un autre verbe, qui lui-même est occupé rudement, rauquement, avec une épithète qui n’est pas, de toute éternité, sa compagne. Phrase sonore et même magique, où se font écho, par le bois sacré, les vierges défaillantes et les durs satyres, et qui est comme la projection d’un désir hanté par les lois des nombres.

Une remarque est nécessaire : S’il m’arrive de citer ces auteurs classiques, à titre d’exemples et même d’expériences, c’est en tant que types achevés de ce qui existe chez le commun des mortels, d’une façon moins nette et continue. Car il n’est rien, chez Lucrèce, Shakespeare, Dante ou Virgile, que ne puisse, à la rigueur, concevoir et éprouver l’épicier du coin, ou la prostituée. Il s’agit, en ces derniers cas, d’un éclair, d’une lueur, ou d’une phosphorescence d’images, alors que les maîtres des âges y apportent de durables, d’éternels flambeaux. Ces maîtres totalisent les parcelles du commun, rangent et ordonnent leurs hérédismes, leurs « ancestraux », afin de les lancer, de les couler dans le flot pâteux et doré de leur verbe. Ils font frémir leur peuple intérieur, avant de lui donner des voix, qui se conjoindront en une voix, la leur.