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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/29

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C’est ce qui fait que la critique littéraire, poétique et philosophique, qui est sans doute la science des sciences, ou qui, parfaite, serait cela, n’est pratiquement, même réussie, que l’étroite analyse d’une intention. La critique idéale suppose la transposition de l’âme du critique dans l’image initiale et fondamentale de l’œuvre critiquée, dont il prend la mesure et devine la portée. La critique idéale est un bond au centre vital d’un auteur, l’installation par effraction dans son moi et dans son soi, l’examen du déroulement de son imagination, le recensement de ses puissances latentes. Gœthe, Sainte-Beuve, Maurras, voilà des critiques, sondeurs et prospecteurs de ces sources bouillonnantes, devenues ensuite des nappes tranquilles, où se mire et se modèle la postérité.

Mais le poète qui se prête le mieux à l’analyse de la faculté imaginative est sans contredit Lucrèce, dans son De Natura Rerum, Physicien inspiré et voluptueux, il a conçu la genèse de l’univers sous l’aspect d’une pluie d’atomes. Cependant que l’image de deux amants, enlacés et transportés de jouissance, quitte rarement sa pensée ardente :

Affigunt avide corpus, junguntque salivas
Oris et inspirant pressantes dentibus ora…

Tantôt il a recours à Vénus, pour mettre en mouvement et chaleur sa machine à expliquer le monde ; et le bondissement de son rythme est calqué sur celui d’un cœur ou poserait une main de nymphe